La peur Il nous raconta ceci: Il chassait, etant jeune homme, dans une foret de Russie.Le fuyard, a bout de forces et perclus par la terreur, allait tomber, quand un enfant qui gardait des chevres accourut, arme d'un fouet; il se mit a frapper l'affreuse bete humaine, qui se sauva en poussant des cris de douleur.Deux choses innommables, deux mamelles sans doute, flottaient devant elle, et des cheveux demesures, meles, roussis par le soleil, entouraient son visage et flottaient sur son dos.Tourgueniev se sentit traverse par la peur hideuse, la peur glaciale des choses surnaturelles.Il se laissait flotter doucement, l'ame tranquille, frole par les herbes et les racines, heureux de sentir contre sa chair le glissement leger des lianes.Mais le monstre nageait plus vite encore et il lui touchait le cou, le dos, les jambes, avec des petits ricanements de joie.Le jeune homme, fou d'epouvante, toucha la berge, enfin, et s'elanca de toute sa vitesse a travers le bois, sans meme penser a retrouver ses habits et son fusil.C'etait une folle, qui vivait depuis plus de trente ans dans ce bois, de la charite des bergers, et qui passait la moitie de ses jours a nager dans la riviere.Le grand ecrivain russe ajouta: