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Dans les années 1840, la colonisation française en Algérie, marquée par des incertitudes politiques et la guerre avec Abd el-Kader, suscite de nombreux projets de fortifications. Ces projets, débattus au Parlement et inspirés par des modèles comme la muraille de Chine, visent à sécuriser les zones colonisées, notamment Alger et la Mitidja. Les propositions divergent : certains, comme le général Berthois, prônent une vaste enceinte englobant une grande partie de la plaine pour une colonisation rapide, tandis que d’autres, tel le comte Guyot, privilégient une défense plus restreinte des villes existantes. Ces débats reflètent des conceptions opposées de la colonisation, entre occupation extensive et limitée. La question des fortifications est aussi liée à la colonisation agricole et au refoulement des populations indigènes, soulignant la volonté de créer un espace colonial clairement délimité et contrôlé, séparant les colons des populations locales. L’influence du débat sur les fortifications parisiennes est perceptible. Finalement, ces projets, souvent utopiques et rarement mis en œuvre, révèlent des conceptions divergentes de l’occupation coloniale et du rapport aux populations autochtones.


Original text

Prenons une tige flexible de douze à quinze centimètres de longueur, supposons
qu’elle représente notre ligne continue de fortification, et plaçons-la de toutes
les manières imaginables sur la carte de l’Algérie... (Savary, 1840)
Ainsi commence l’un des multiples projets de fortification de la colonie algérienne qui
voient le jour dans les années 1840. L’auteur passe ensuite en revue les conditions
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M@ppemonde


topographiques et géopolitiques qui le conduisent à proposer d’encercler Constantine
ainsi qu’un petit périmètre autour d’Alger, qui serait réservé à des bagnards. La carte qui
accompagne l’ouvrage présente de manière très sommaire les escarpements naturels et
donne quelques tracés hydrographiques, qui doivent servir de support et même souvent
suffire à former enceinte. Cependant, aucune ligne de fortification n’est signalée sur cette
carte, l’auteur déclarant ne pas être en mesure de donner un tracé (Savary, 1840).


Autour des années 1840, de nombreux projets de fortification en Algérie sont pro-
posés, diffusés par brochures et livres, et débattus au Parlement. En 1839 a été créée


une commission extraordinaire chargée des questions de sécurité du territoire, qui
émet officiellement l’idée d’une muraille continue pour encercler la Mitidja et la protéger


des incursions des Hadjoutes. Le système de défense de l’Empire de Chine est consi-
déré ainsi comme l’un des modèles possibles: «Oui, c’est la muraille de la Chine que


je veux, moins sa hauteur et sa largeur, qui, nécessaires contre les Tartares, je n’en


sais rien, seraient superflues contre les Arabes» (Rogniat, 1840). Les projets se multi-
plient à cette époque. Plusieurs ouvrages et mémoires sont entièrement consacrés à


la question des fortifications, et l’on trouve dans les archives militaires et politiques de
nombreux plans, accompagnés parfois de cartes, témoignant d’une volonté de
maîtriser l’espace par la définition d’un territoire français.
Les projets d’encerclement et de protection d’Alger dans les années 1840 sont l’écho
des incertitudes politiques qui caractérisent les premières décennies de la colonisation
française en Algérie. Dix ans après le débarquement à Alger en 1830, les Français
tentent par tous les moyens d’asseoir leur domination coloniale. En 1840, Constantine
a été soumise, mais la guerre avec Abd El Kader a repris aux portes d’Alger. De fait, la
domination militaire est loin d’être acquise, la guerre se poursuit. Le principe même de
la conquête territoriale, première étape dans l’entreprise de domination politique, est
discuté. La question majeure est celle du territoire algérien utile et colonisable. Le débat


est bien connu: aux partisans de l’occupation restreinte, qui souhaitent limiter la colo-
nisation aux grandes villes et à quelques plaines fertiles, s’opposent les partisans d’une


occupation plus large, obtenue au prix d’une guerre totale, et seule garantie à leurs yeux
d’une colonisation durable (Julien, 1964; Rivet, 2002).
La question territoriale est au centre de ce débat. Quelle Algérie occuper? La ville


seule? La ville et son arrière-pays immédiat? Le territoire supposé de la Régence otto-
mane? Un ensemble discontinu de villes occupées par l’armée? L’enjeu est de déter-
miner un espace utile, mais aussi susceptible d’être défendu: la guerre de conquête


est loin d’être terminée, et sans que cela soit mis en avant, c’est bien la prise en
compte de rapports de force entre les tribus «non pacifiées» et l’armée française qui
détermine les modalités de l’occupation (Blais, 2008). Or la délimitation même de ce
territoire fait l’objet d’un débat approfondi par la question des modalités de sa défense.
Dans une logique militaire assez classique, mais transposée ici en terrain colonial, on
envisage alors de fortifier le territoire déclaré français pour en faire une enclave
protégée au milieu d’un vaste espace ennemi.
Les débats sur l’encerclement d’Alger et de la Mitidja doivent être réinsérés dans le
contexte métropolitain de la discussion sur les fortifications de Paris voulues par Thiers.
Après les défaites napoléoniennes, des voix en faveur d’une meilleure défense de la
capitale se font entendre avec force. En 1830 est créé un «comité de fortifications» qui
relance le débat. Les uns sont partisans d’une large enceinte continue, qui engloberait
les faubourgs dans un système défensif, et les autres, pointant le coût exorbitant de ce
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système, proposent d’organiser un vaste camp retranché basé sur des forts
permanents. Cette question centrale du choix entre des forts détachés ou une enceinte
continue, nécessitant plus ou moins de troupes, est évoquée aussi à plusieurs reprises
à propos d’Alger. En 1836, est adopté pour Paris un plan combinant les deux systèmes


et, en 1840, le chef du gouvernement, Thiers, fait déclarer d’utilité publique la cons-
truction de cette enceinte. Les travaux commencent en 1841, alors que les discussions


sur le tracé de l’enceinte se poursuivent, notamment autour des zones habitées. Ils
seront achevés en 1845 (Le Hallé, 1986). Les enjeux parisiens du débat sur les
fortifications sont multiples: d’ordre militaire, certes, mais aussi sécuritaire, hygiéniste,
social et moral (Moret, 1996; Charvet, 2005; Merriman, 1994). Si le lien ne semble pas
être établi par les contemporains entre la situation parisienne et la situation algérienne,
il est évident que le contexte métropolitain influe sur les projets algériens, et l’on peut
supposer que la circulation se fasse aussi dans le sens Alger-Paris.
Il faut donc s’interroger sur les enjeux des fortifications en territoire colonial, au-delà


de la seule déclaration de protection militaire. Cette question apporte en effet un éclai-
rage tout à fait original sur les conceptions divergentes de ce que doit être l’occupation


coloniale. Il s’agit de marquer l’emprise territoriale au sol et dans l’espace. Or le tracé,
la nature et la matière même des fortifications proposées renvoient à des modes de
domination dont les priorités sont diverses, mais qui sont toujours liées à une certaine
manière d’appréhender le territoire. Nous envisagerons ici trois questions, liées entre
elles, qui surgissent à travers ces projets d’encerclement: celle de la sécurité des
colons, celle du lien entre l’occupation militaire et la colonisation agricole, et enfin celle
du refoulement des populations indigènes.



  1. La question de la sécurité: délimiter un «chez soi»
    Dans les années 1840, en écho à la création d’une commission spéciale, plusieurs
    projets de fortifications sont présentés aux parlementaires. Ils émanent pour la plupart


d’officiers militaires qui connaissent le terrain, officiers du corps du Génie prin-
cipalement, mais certaines propositions sont soumises par des civils. Ces projets sont


documentés parce qu’ils sont défendus par leurs auteurs, et parfois même mis en
concurrence lors des débats au Parlement. Ainsi en est-il des deux projets d’enceinte
continue du Sahel présentés par le général de Berthois et le comte Guyot. Le général
de Berthois, aide de camp du roi, a servi en Espagne, en Allemagne, et a participé à
la défense de Paris pendant les Cent jours (Julien, 1964, p. 188). Le comte Guyot est
le directeur des Affaires civiles en Algérie de 1838 à 1847, et à ce titre responsable
de l’attribution des concessions faites par l’État aux colons. Dans les archives du
ministère de la Guerre a été conservé un calque présentant les deux projets
d’enceinte qui doivent être mis en débat (fig. 1). Il s’agit de projeter dans les deux cas
un mur d’enceinte autour de la Mitidja, mais qui révèle des conceptions différenciées
de l’espace à coloniser.
Sur le croquis du général Berthois figure un tracé triangulaire reliant Maison Carrée,
Blidah et Koleah, englobant donc largement la plaine, bien au-delà des villages de
colonisation qui ont commencé à être occupés (1). Le général Bugeaud soutient ce
projet soulignant qu’il constitue un obstacle qui «garderait tout le Sahel, plus un
triangle considérable dans la plaine» (CAOM, F80/1874, Lettre de Bugeaud au
ministre de la Guerre, Alger, 1er août 1841). Son argument principal est qu’il s’agit d’un
espace qui pourrait être peuplé rapidement de colons. Ce tracé s’inscrit clairement
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dans la perspective d’une colonisation rapide prônée par Bugeaud, colonisation qui
suppose une occupation extensive du territoire.
Le projet mis en parallèle, celui du comte Guyot, se concentre sur la défense des
villes, sans englober la plaine, mais en imaginant des fortifications qui relient le Sahel
à Bouffarik et Blidah par une sorte de couloir (fig. 2). Le comte Guyot justifie avant tout


son tracé d’enceinte par des nécessités de défense. Son argumentation est essen-
tiellement tactique et militaire, et prétend s’adapter à une particularité du terrain: «Ici


nous voulons faire la guerre ou plutôt résister à des Arabes et à des maraudeurs, à des
voleurs» (CAOM, F80/1874, Lettre du comte Guyot au gouverneur général, Paris,
31 juillet 1841). Son obstacle est conçu comme dominant la plaine, en épousant le
relief du terrain ou en prévoyant par section des promontoires spécifiques, ce qui
permet de «voir venir l’ennemi de loin» (idem). Le projet est donc moins lié à une
utopie colonisatrice qu’à une pratique quotidienne dans une situation de guerre, et se
fait l’écho d’un sentiment d’insécurité largement partagé chez les colons. Il reproche
par ailleurs au projet de son adversaire, englobant lui cette plaine, de faire passer
l’enceinte dans des terrains marécageux, et donc d’être très long à exécuter puisque
nécessitant des opérations préalables d’assèchement.
Aussi, dans cette argumentation, l’essentiel est-il dans la définition d’un territoire


séparé des Arabes et des «maraudeurs», assimilés d’ailleurs par Guyot, afin de déter-
miner un chez soi tranquille. Ce sont les incursions des tribus insoumises qui inquiètent


le plus les Français dans la Mitidja, et l’enceinte est d’abord une protection: elle doit être
continue parce qu’elle enferme ainsi un monde et l’isole du reste. Celui qui est désigné
comme l’ennemi perd ainsi tout lien avec le territoire colonisé, purement et simplement
approprié «Il faut un obstacle qui le gêne pour entrer chez nous» (idem).


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  1. Tracés des enceintes proposées par le général Berthois et le comte Guyot dans
    la Mitidja, 1840 (source : Centre des Archives d’Outre-Mer, F80/1874)


Dans ces deux projets apparaissent
des conceptions différenciées du territoire
à coloniser, conceptions qui font écho au
débat sur le type de colonisation à mettre
en place en Algérie. L’enceinte dit bien


sûr dans les deux cas une situation d’in-
sécurité et même de guerre, mais suivant


qu’elle englobe toute la Mitidja ou la
domine, elle ne dit pas la même chose de
la position des Français dans cette guerre.
Pour la majorité des militaires qui suivent
alors Bugeaud, l’évidence est dans la


maîtrise d’un territoire le plus large pos-
sible, et le détail de la réalité des rapports


de forces sur le terrain ne doit pas être un
obstacle à leur ambition. Pour ceux qui
représentent les intérêts des colons, la
position est plus défensive, et révèle une
situation de domination territoriale bien
moins assurée qu’il n’y paraît dans les
discours officiels.
La plupart de ces projets de fortification concernent la plaine d’Alger, mais pour
certains, cette option paraît un système «trop coûteux et mesquin» et des systèmes


de fortifications sont envisagés à des échelles territoriales très diverses. L’auteur ano-
nyme de l’opuscule De la consolidation de la puissance française en Algérie, publié


en 1841, propose ainsi d’établir un système de camps retranchés sur le modèle des
fortifications françaises du XVIIe siècle. Il imagine un tracé centré sur Médéa, et des
camps éloignés d’une vingtaine de kilomètres en direction d’Oran et en direction de
Bône. Ces lignes de camps sont destinées à former, avec la mer, « une vaste enceinte
[...] dont l’intérieur devra tôt ou tard subir notre domination et recevoir de nombreuses
colonisations civiles ». La protection doit être assurée par des colonnes mobiles (alors
mises à la mode par Bugeaud), marchant sans cesse d’un fort à l’autre. Renonçant à
l’obstacle continu, trop ambitieux à l’échelle du territoire colonial qu’il considère


jusqu’à Oran, Sétif et Constantine, l’auteur imagine un quadrillage militaire du terri-
toire qui vise à pallier l’impossibilité d’une domination territoriale continue, empêchée


par des populations « braves, aguerries, jalouses de leur indépendance [...] ». Le sys-
tème envisagé s’inspire selon l’auteur de l’ancien royaume de France, mais une autre


référence, explicite, est aussi évidemment celle des stations romaines formant le
limes de l’Empire, et le projet est d’ailleurs présenté comme un « rajeunissement » de
ces grandes lignes des stations romaines. La référence impériale est une constante
chez les militaires français en Algérie, et on la voit ici resurgir à propos des questions
d’art militaire et de défense comme une forme d’autolégitimation. « Rome a sillonné
l’Algérie en tous les sens », et c’est sur ce même mode que doit s’affirmer la présence
territoriale française.
Quelle que soit l’échelle envisagée, les solutions proposées montrent bien qu’il
s’agit de tracer une ligne frontière infranchissable entre le dehors et le dedans de la
colonie. Les fortifications sont une manière de marquer le territoire des colons dans un
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Maison
Carrée
Ligne de défense de Guyot


Harach


Mazafran


ALGER


Camp de
Douera
Mahelma
Koleah
Bouffarik
B idah


Ligne de défense de Berthois


Voie de communication
Principales implantations militaires et civiles
Zone de colonisation restreinte (projet Guyot)
Zone pouvant être rapidement
peuplée de colons (proje Berthois)


N


© Mappemonde 2008 (GS)


Source: Blais H., 2008
d’aprè CAO-F80/1874)
2. Deux modes de défense dans la Mitidja


espace qui se révèle ainsi très peu maîtrisé. La multiplicité des tracés proposés trahit
l’impossibilité de déterminer les limites du territoire colonisé. Au-delà, l’idée d’une
enceinte, qui semble recueillir une forme de consensus au début des années 1840, se
heurte à des questions financières et matérielles qui constituent de réels obstacles à
sa réalisation. Le Génie commence à creuser un fossé autour du sahel d’Alger mais
l’abandonne vite. Les camps retranchés de la Mitidja ne constitueront jamais un
«système» à proprement parler. Dans la pratique, Bugeaud, sans désapprouver le
projet, ne donne d’ailleurs aucun moyen militaire de le mettre en œuvre, estimant que


les besoins sont plus pressants ailleurs. Les quelques forts bâtis par son prédé-
cesseur, comme celui de Fondouk, sont même évacués. Et les circonstances de la


guerre de conquête font que ces idées de fortifications tombent vite dans l’oubli. Cet
oubli tient aussi à leur dimension utopique, caractéristique d’un certain nombre de
projets d’aménagement territoriaux dans les colonies. Comme l’a montré Daniel
Nordman (1975) a propos d’un projet d’encerclement de la Mitidja par le vicomte


Rogniat, on peut s’interroger sur la faisabilité réelle de ces propositions, qui sont peut-
être avant tout des expressions abstraites de projets politiques. L’existence de ces


plans de fortification, que ce soit par une ligne continue, une ligne de forts ou même
seulement un remblai, même sans réalisation, est intéressante car elle témoigne d’une
conception insulaire de la colonie, tendant à isoler, à établir des frontières intérieures
dans un vaste territoire non maîtrisé.
2) Fortifications et colonisation agricole
La question du tracé des fortifications touche aussi directement à l’usage que l’on se
propose de faire du territoire colonial. Dans le cas algérien, fortifications et
colonisation agricole sont ainsi très souvent liées. Clauzel souligne dès 1832
l’importance de poursuivre conjointement les objectifs agricoles et militaires : « Les
intérêts de la culture et de la défense commanderaient l’exécution d’un canal qui
joignit l’Arrach au Masafran. Ce canal, exécuté par nos troupes, serait une barrière
contre l’invasion des Arabes, et un moyen d’irrigation pour toute la partie de la plaine
de la Mitidja comprise entre les deux rivières, la mer et le canal » (Clauzel, « Discours
à la chambre des députés », 20 mars 1832). Cette idée d’un retranchement total
d’Alger et de la Mitidja pour des raisons à la fois sécuritaires et agricoles a été
plusieurs fois reprise. Elle témoigne des tentatives de faire fusionner la conception
militaire du territoire et sa vocation agricole. Aussi plusieurs projets de fortifications
intègrent-ils directement cette question agricole. L’officier topographe Saint-Hypolite
envoie ainsi en 1840 une brochure au Parlement qui contient une carte « donnant un
aperçu du système de colonisation partielle et successive de la Métidja au moyen de
canaux de défense et d’irrigation » (Saint-Hypolite, 1840) (fig. 3). L’auteur de ce projet
est le chef de la section topographique d’Afrique depuis 1838, et se trouve en Algérie
comme officier d’état-major cartographe depuis les débuts de la conquête. Il propose
de creuser un grand canal au pied de l’Atlas, embrassant toute la Mitidja, et qui
formerait une grande ligne de défense grâce à un parapet gardé par des postes.
L’avantage mis en avant est de garantir la défense, tout en rendant « enfin productive
cette colonisation, but final de notre entreprise ». De fait, le projet ne se limite pas à
ce grand canal, puisque, comme le montre la carte proposée en accompagnement de
son exposé, c’est tout un système d’irrigation qui quadrillerait alors l’arrière-pays
algérois, système d’irrigation conçu aussi comme un éventuel obstacle militaire. Les
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trois types de traits qui sillonnent la Mitidja correspondent aux échelles suivantes,
précisées dans la légende (fig. 4):
• Premier canal de défense, protégeant le massif d’Alger, qui deviendrait le réduit
de nos possessions d’Afrique
• Grand canal de défense, embrassant toute la Meditja, mais établi partiellement
à mesure des progrès de la colonisation
• Canaux d’irrigation pouvant servir momentanément de ligne latérale de défense
Cette perspective aménagiste est influencée par les idées saint-simoniennes,
assez répandues parmi les officiers présents en Algérie, et notamment dans le corps
des officiers d’état-major. Ces derniers tentent d’articuler leur mission de défense
avec ce qu’ils considèrent être de la mise en valeur des territoires. Par ailleurs, la
mise en place d’un système hydraulique au service de la défense n’est pas propre à
l’Algérie, et l’on trouve ce type de projet dans le cadre des fortifications parisiennes
(2). Dans le cadre du plan de Saint-Hypolite, il s’agit à la fois de défense, d’irrigation
et d’assainissement puisque les canaux, à vocation agricole, doivent aussi permettre
d’assécher les zones marécageuses. L’installation des colons et leur prospérité sont
bien le but ultime (fig. 5). L’auteur évoque également la possibilité de répliquer ensuite
son système autour de Bône et d’Oran. Il s’agit donc d’un modèle de colonisation
réduite, qui semble se suffire à lui-même. Les canaux permettent aussi de ne pas
concrétiser d’enfermement définitif, et donc de s’adapter aux «progrès de la
colonisation ». On peut voir dans ce souci d’une fortification évolutive un écho du
débat métropolitain qui oppose les tenants d’une enceinte continue et ceux qui
pensent qu’encercler Paris reviendrait à bloquer sa croissance. Ainsi, la perspective
aménagiste des fortifications témoigne de la volonté de certains acteurs
métropolitains de ne pas soumettre l’intégralité des choix politiques faits dans la
colonie naissante aux impératifs militaires immédiats.
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3. Carte de la Mitidja au 1/200 000 par Saint-Hypolite (De l'Algérie...,1840)



  1. Fortification et refoulement des populations
    Mais l’idée d’un territoire fortifié va surtout de pair avec l’idée d’un territoire vidé de ses


habitants originels. La thématique du front pionnier fortifié s’assortit de celle du refou-
lement. De fait, l’enceinte doit séparer les populations, marquer dans l’espace une


ségrégation, rejetant l’ennemi hors du territoire constitué. Il ne s’agit pas seulement
alors de protéger les colons, mais plus fondamentalement de refouler les populations
autochtones. Cette perspective, si elle n’est pas toujours explicite dans les projets de
fortification, n’échappe pas aux opposants libéraux. Ainsi, les anticolonistes pointent
dans le débat la question du rapport aux sociétés indigènes que supposent ces


constructions. On peut lire en 1847, dans une brochure anonyme adressée au Parle-
ment une dénonciation du «refoulement graduel jusqu’au désert» (Bugeaud, 1846).


La solution proposée est alors celui d’une «assimilation» des Arabes, qui passerait par
un territoire véritablement partagé. Dans cette conception du partage se structure un
territoire avec des villages arabes et des villages européens, certes toujours séparés,
mais jouxtés les uns aux autres. L’argumentation attaque alors le principe même d’une
fortification séparatrice d’espaces clos: «il ne faut pas, selon nous, les mettre dans
une zone et nous dans l’autre».
On peut aussi trouver là, sans dénier à la situation coloniale ses particularités, un écho
du discours qui se met en place sur les faubourgs et les banlieues dans le débat sur les
fortifications parisiennes. Il s’agit dans les années 1840 d’éloigner les Barbares — et plus
tard dans le siècle, dans un autre registre mais toujours lié à une forme d’exotisme, les
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4. Vue de détail de la carte de Saint-Hipolyte


Apaches (Kalifa, 2005), pour en finir avec l’insécurité publique. L’enceinte fortifiée sert à
apaiser la peur des marges de la ville, pour reprendre l’expression de John Merriman,
comme elle vise dans le cas algérien à conforter une frontière déterminée par un état de
guerre. Les marges de la colonie sont ainsi isolées, surveillées.
Dans la même logique, mais avec d’autres solutions, l’enceinte peut aussi servir à
l’enfermement. Dans un projet présenté en 1840 et qui consiste à imaginer de couvrir
l’Algérie «de châteaux fortifiés semblables à ceux que nous avions dans le Moyen
Âge», l’auteur explique que l’essentiel est de parvenir ainsi à «fixer l’Arabe au sol et
détruire en lui les habitudes nomades, il faut le renfermer dans un espace étroit et lui
barrer tout le chemin» (La Féodalité..., 1840) (3). Là encore, à l’instar du vagabondage
qui effraie les bourgeoisies urbaines sous la monarchie de Juillet, le nomadisme est


considéré comme un danger, tant dans la conduite de la guerre que dans l’adm-
inistration de la colonie. Les fortifications apparaissent ici comme un moyen d’anéantir


un usage de l’espace, le nomadisme, qui heurte profondément les méthodes classiques
de la guerre et du contrôle du territoire sous domination coloniale.
Conclusion
La question des fortifications apparaît donc comme un lieu privilégié pour observer les
conceptions du territoire colonial qui s’expriment au moment de la conquête. L’étude de
l’espace, de ses conceptions et, plus spécifiquement ici, du contrôle de l’espace dans
les processus coloniaux fait apparaître un certain nombre d’éléments éclairant ces
processus. Le débat sur les fortifications en Algérie contribue à élaborer un discours sur
la société, avec ses colons dans les murs et ses indigènes hors les murs, et participe
de la définition des populations autochtones qu’imposent les colonisateurs.


Comme cela apparaît dans le débat qui oppose les partisans de l’occupation res-
treinte et ceux d’une occupation plus large, la question du territoire à coloniser est


intimement liée à celle de sa sécurité pour les Français et pour les colons européens
en général. Dans la pratique, la résistance algérienne conduit les hommes politiques à
M@ppemonde 91 (2008.3) http://mappemonde.mgm.fr/num19/articles/art08301.html 9


ALGER
Maison
Carrée


Douera


Koleah


ouffarik


lidah


Ha ach


Mazaf an
Lignes à fonction mixte (défens et irrigation) Lignes de défense naturelles


réduit des posse ons africaines
anal de premièr gne


oie de communication
anal de seconde ligne
anaux latéraux


ontrefor montagneux
éseau hydrographique


rincipales implantations
mi aires et civiles
tapes projetées
successives
de la colonisation


Mappemonde 2008 (GS) Source: Blais H. , 2008 d’après Saint-Hypolite (De l'Algérie...,1840)
5. Schématisation du plan de Saint-Hipolyte (1840)


délimiter un territoire algérien qui est défini par la possibilité même de sa défense. Ce
contexte mène à la présentation de multiples projets de fortifications, présentés
traditionnellement comme des lignes de défense, mais qui sont aussi finalement
l’expression d’un mode de domination qui passe par la mise en valeur du territoire
accaparé et par le refoulement des populations autochtones jugées encombrantes.
Ainsi, à travers la question des fortifications et des limites du territoire colonisable
surgit celle du statut des indigènes. Le débat sur les fortifications ne fait que
concrétiser des oppositions sur la question de l’accaparement des terres et de
l’assimilation des populations autochtones. Il s’est poursuivi dans les années
suivantes, notamment autour de la politique de cantonnement et de la question des
découpages administratifs du territoire algérien.


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